Les Dragons d’Adity – Segment 7

Feu torpille !

— Les six tubes sont chargés, cinq torpilles en soute bâbord, huit à tribord.

Parfait.
Harlock évalua ses options tactiques : attaque successive, ou attaque simultanée ? Se focaliser sur un seul ennemi à la fois lui permettrait d’être plus précis dans sa manœuvre, mais risquait de laisser aux autres le temps de s’enfuir ou de contre-attaquer. Tirer sur tous en une unique salve était plus complexe à calculer… mais bien plus efficace s’il parvenait à faire but.

— Bien. Propose-moi une solution de tir pour une salve de six.

Tochiro leva un sourcil.

— Les six d’un coup ? Après il faudra compter dix minutes pour recharger, tu le prends en compte ?

Harlock opina. Tochiro haussa les épaules.

— Okay. Tu veux que je vise lequel ?
— Les trois. Deux sur le bombardier, trois sur l’escorteur, une sur le terrasseur.

Le terrasseur était plus gros, mais il n’était pas conçu pour réagir. Si une seule torpille le frappait, il serait ensuite facile de l’achever aux canons. Le bombardier était lent, et ses moteurs sous-dimensionnés pour l’esquive. Le plus dangereux restait l’escorteur.

— Solution de tir sur écran, annonça Tochiro.

Harlock étudia les courbes d’un œil critique. Non. Pas satisfaisant.

— Mets les quatre sur l’escorteur. Il y aura moyen d’en reprogrammer une à distance au dernier moment pour la rediriger sur le terrasseur ?
— Si la liaison n’est pas brouillée, sans problème.

Les courbes corrigées avaient meilleure allure. Harlock hocha la tête machinalement. Surprise, simultanéité et saturation. S’ils n’étaient pas trop sur leurs gardes en face, ça pouvait marcher.
Il inspira. En avant.

— Salve de six torpilles. Attention pour lancer !

Les doigts de Tochiro couraient sur sa console, glissaient sur son écran tactile, l’affichage dynamique s’ajustait aux nouveaux paramètres, l’IA déroulait sa litanie de contrôle des systèmes en toile de fond.

— Portes de bordée ouvertes, lancement permis !

Là où il se rendait, il n’existait pas de retour en arrière possible.

— Feu !

Et je serai libre.

« Temps de parcours deux minutes et cinquante-cinq secondes. »

Propulsion allumée. Éclairs fugaces. Les torpilles filèrent vers Adity, vers l’orbite, vers leurs cibles. Harlock n’envisageait pas qu’elles fassent but sans avoir été contre-détectées – les armes de ce genre, rapides et dévastatrices, étaient tout sauf discrètes. Mais même si l’adversaire s’avérait assez habile pour les détruire toutes avant l’impact, l’explosion qui en résulterait générerait une onde électro-magnétique dont il était possible de tirer profit.
Il tendit le bras vers son panneau de commande. « Dispositif de furtivité activé », réagit aussitôt l’IA. Harlock laissa l’excitation de la chasse relever le coin de ses lèvres. Et maintenant, allons voir l’action de plus près.

— Tourelles au paré à manœuvrer ! lança-t-il. Tir d’immobilisation, feu sur mon ordre !

Il prit un plaisir non dissimulé à faire violemment tourner la barre sur son axe. C’était inutile. Cela rajoutait à ses paroles une touche mélodramatique jouissive.

L’Arcadia vira avec majesté pour s’aligner sur une trajectoire d’interception.
« Temps de parcours deux minutes. »
Les pistes se positionnaient sur l’écran tactique comme des pions sur un échiquier. Les cibles, les armes. L’Arcadia.
« Détection d’une émission radar directive en provenance de l’escorteur. Probable conduite de tir. »

— Ils ont vu les torpilles, déduisit Tochiro.

Les torpilles, mais pas l’Arcadia. Harlock corrigea son cap de quelques degrés. Il était le joueur principal. Et il gagnait toujours.

« Chargement des tourelles à cent pour cent, visée ajustée, tir en stand-by. »
Le bombardier avait accéléré. L’escorteur, lui, modifiait sa route. Son angle était idéal pour défendre le terrasseur… contre les torpilles. Harlock élargit son sourire. Ses adversaires devaient avoir compris que ce qui leur arrivait dessus n’avait pas surgi du néant, mais s’imaginaient-ils que le tireur leur fonçait également dessus ?
« Temps de parcours une minute. »

— Euh, Harlock ? T’approche pas trop près non plus, hein… Il y a quand même six torpilles qui se baladent, là-devant…

Hé, ce vaisseau était le meilleur, ou non ?

« Tourelles en portée. »
L’escorteur ouvrit le feu. Deux salves de quatre missiles d’autodéfense, suivies d’une bordée de leurres et d’un barrage d’artillerie. Les torpilles réagirent par des zigzags courts. Le combat était une danse.
Harlock étrécit les yeux. Le combat était une danse, et une danse se chorégraphiait à la seconde près.

— Tochiro, réaffectation des cibles ! Les quatre sur le terrasseur, maintenant !

« Attention. Entrée en zone de danger torpille. Risque de dégâts électro-magnétiques imminent. »

— Feu tourelle une !

Virage.
Explosion.
Explosion.
Explosion.
Chaos.

— Feu tourelle deux ! Tir à détruire !

Les écrans tressautèrent lorsque la déflagration électro-magnétique frappa la coque de l’Arcadia. S’il en jugeait les éclats lumineux qui avaient illuminé la passerelle, au moins trois torpilles avaient détonné. Restait une. Plus les deux du bombardier.

— Rapport des dégâts dès que possible !

Les radars peinaient à discerner quoi que ce soit dans la soupe brouillée qui tenait lieu de cœur de l’action. Dépité, Osman triturait les réglages, mais ce n’était pas son domaine d’expertise ; l’IA s’en sortait mieux que lui.
« Données incomplètes. Impact canon sur l’escorteur, tir traversant. Probable impact torpille sur le terrasseur, analyse en cours. »

Explosion.

— ‘l’a pété plus loin, celle-là, commenta Osman.

Le bombardier.
Explosion.
« Analyse en cours », répéta l’IA.

Le bombardier n’était pas un danger pour l’Arcadia, décida Harlock. L’escorteur… Non plus. Il resserra ses mains sur la barre.

— J’me fais le terrasseur. Pleine puissance des boucliers sur l’avant !

Et il y avait une manœuvre qu’il avait hâte de tester à nouveau.

— Tu quoi ? réagit Tochiro. Non, attends !

Trop tard. Sur les écrans, le bombardier sombrait corps et bien, l’escorteur se débattait contre un feu majeur. Le terrasseur était trop lent.

— Attention pour impact !

Éperonnage.

La coque crissa quand l’Arcadia s’empala dans le ventre du terrasseur, les vitres s’obscurcirent, les écrans s’affolèrent.
L’Arcadia résista.
Harlock jubila.
La manœuvre était folle, impensable pour tout spationavigateur doté d’un minimum de bon sens, contraire à toute logique. Et mortelle, la manœuvre était mortelle. Avec l’Arcadia, il était invincible.

Le silence succéda aux alarmes, l’ordre froid de l’espace remplaça le chaos des déflagrations. L’ivresse d’une victoire facile le submergea. À un contre trois. Je suis invincible.

— Hé, j’ai construit un vaisseau spatial, pas un tunnelier ! protesta Tochiro.

Harlock leva le pouce et adressa un clin d’œil au petit ingénieur.

— Ton blindage est révolutionnaire et ton champ répulsif formidable, Toch’. Tu peux être fier de toi !
— Mrf. Oui je sais. N’en fais pas une habitude.

Bien sûr que si. Au poste radio, Osman étouffa un ricanement nerveux. Personne n’était dupe.
« C’est quoi ce bordel ? » tonna la voix de Maji via la diffusion générale. « Captain, me dites pas que vous avez encore foncé dans un truc ? »
Tochiro souriait derrière ses lunettes. Il était fier, et il avait bien raison.

— On fait quoi maintenant, captain ?

Harlock s’avança au centre de la passerelle. Il avait besoin d’un petit quelque chose en plus pour rendre ce mouvement plus théâtral, songea-t-il. Une cape, peut-être ?

Sur l’écran principal, Adity était une boule de nuages grisâtres et d’étendues terreuses.

— On descend voir.

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