Les Dragons d’Adity – Prologue

Prologue

Disclaimers : alors y’a des trucs à moi (beaucoup), et des trucs pas à moi (toujours les mêmes).

Chronologie : cette histoire suit « Les Sirènes d’Yblane » et recoupe « Katz ». Et quand je dis « recoupe », cela signifie qu’elle reprend certains éléments et s’assoit allégrement sur d’autres. Mais bon… Les anomalies temporelles font partie du charme de l’univers, non ?

Notes de l’auteur : je possède un panel de personnages limité que je réutilise à l’envi sur la totalité de ma trame temporelle, et s’il n’est pas trop gênant d’étaler un adulte sur plusieurs années, le procédé cause quelques problèmes quand il s’agit d’un enfant. Ça grandit vite, ces petites bêtes… En l’occurrence, la gosse utilisée dans ces lignes est plus jeune qu’habituellement, mais l’incohérence demeure. Les lecteurs tatillons voudront bien m’excuser l’imprécision.

« L’incident » avait conduit à un rapport, et le rapport à une convocation. Le mémo indiquait « toutes affaires cessantes ». L’Hayabusa avait mis six jours pour rejoindre les Planètes Centrales à vitesse maximale.
Tandis qu’il tournait en rond dans le hall d’attente du siège du Conseil Fédéral en essayant de ne pas paraître trop stressé, le capitaine Warrius Zero ne pouvait s’empêcher de ressasser les derniers événements. Yblane, Mabrus, le prototype. Harlock. Avait-il pris les bonnes décisions ?

— On a fait tout notre possible, commandant. L’Hayabusa n’est qu’un patrouilleur. Il n’était pas de taille face à…

Zero coupa son second d’un geste agacé. Même s’il était assez loyal pour ne pas le désavouer en public, Martin le désapprouvait, il le savait. Autant leur épargner une conversation pénible à tous les deux.

Un silence pesant s’installa. Dans le hall vide à part eux, les talons de ses bottes faisaient résonner des échos lugubres.

— Tout va bien se passer, commandant, insista Martin.

Des décisions. Ce n’était pas son second qui les avait prises. Warrius répondit d’un sourire amer. Il n’avait pas imaginé son premier débriefing après mission ainsi.
Il n’avait pas imaginé sa première mission ainsi.
Il serra le poing.

« Madame la Présidente de l’Union Fédérale va vous recevoir », annonça un drone protocolaire. « Veuillez me suivre, messieurs. »

Quand Zero croisa les yeux de son second, il y lut le même effarement qui devait se refléter dans son propre regard. La Présidente ? La porte du bureau se referma sur eux comme un couperet. Cette affaire nécessite l’intervention – de la Présidente ?

Le bureau était spacieux, décoré avec soin, et s’ouvrait sur un espace en demi-cercle entièrement vitré. Aveuglé par le contre-jour, Zero ne distinguait de son interlocuteur qu’une silhouette dans un fauteuil. C’était suffisant.
Il se raidit au garde-à-vous, salua, redressa le menton, vit du coin de l’œil Martin l’imiter à côté de lui.

— Capitaine Warrius Zero, commandant l’EFS Hayabusa, à vos ordres Madame la Présidente, déclama-t-il.

La Présidente de l’Union Fédérale était une femme âgée, grande et fine, dont les longs cheveux gris tombaient librement sur les épaules, et dont l’aspect fragile était démenti par l’éclat inflexible de ses yeux clairs. Elle se leva avec une lenteur calculée, s’approcha à pas mesurés, le toisa de haut en bas, de bas en haut… Son expression était indéchiffrable.

— Repos, dit-elle enfin.

Zero croisa les mains derrière son dos. Il se sentait disséqué, mais il ne broncha pas. Il rendrait compte de ses actions avec honnêteté, se promit-il. Et il montrerait à son chef suprême qu’il avait été irréprochable.

La Présidente se détourna toutefois aussitôt de lui. Warrius remarqua alors la plexifeuille ornée du sceau de l’Union Fédérale qu’elle tenait en main. Il la reconnut sans mal : il avait reçu la même quelques mois – une éternité ? – auparavant. Une lettre de commandement. Son cœur se serra à l’idée de perdre son second en même temps que ses pensées bourdonnaient d’incompréhension. La Présidente allait donner un vaisseau à Martin ? Pour quel motif ? Une récompense ?

— Capitaine Martin de la Morlaye, énonça-t-elle. Par la présente lettre, je vous confie le commandement du patrouilleur « Hayabusa ». Cette disposition prend effet immédiatement.

Les mots transpercèrent Warrius tels des poignards. Pas une récompense, non… Une punition. On ne lui avait même pas laissé l’occasion de se justifier. Il se mordit la lèvre pour rester immobile, crispa ses muscles pour s’empêcher de regarder Martin. L’Hayabusa. Son premier commandement… et son dernier, probablement.

— Ce sera tout, capitaine, conclut la Présidente. Vous pouvez rompre.

Tandis qu’il gardait son regard braqué droit devant lui, Warrius entendit son désormais ex-second inspirer. « Commandant… » commença-t-il. Peut-être était-il désolé. Peut-être était-il victorieux. Peu importe.

— Ce sera tout, répéta la Présidente.

La porte s’ouvrit, la porte se referma. Warrius ne bougea pas. Regard fixe, mâchoire serrée, mains jointes dans le dos, posture réglementaire. La honte le submergeait.

La Présidente revint vers lui. Un demi-sourire flottait au coin de ses lèvres.

— Détendez-vous, capitaine Zero. Vous donnez l’impression que je vais vous clouer au pilori.

Zero leva un sourcil. L’humiliation d’avoir été déchu de son commandement se rapprochait bien de l’idée qu’il se faisait d’une mise au pilori, de son point de vue. Néanmoins la Présidente semblait s’être… adoucie ? Elle se saisit de deux autres plexifeuilles sur son bureau.

— J’ai lu avec attention tous les rapports qui me sont parvenus, continua-t-elle. Il apparaît clair que votre lieutenant… Harlock, c’est bien ça ?… a trahi l’Union et refuse de convoyer le prototype de Mabrus jusqu’à notre base spatiale de Kerbéros-Psi.

Warrius hocha la tête.

— En effet, madame.

C’était évident depuis le départ. Zero avait vu la lueur exaltée qui brillait dans les yeux d’Harlock pendant que cette foutue tête brûlée manœuvrait le prototype – et qu’il le manœuvrait bien. Il avait vu la fierté lorsqu’il lui avait confié « le convoyage ». Il avait vu les flammes de la rébellion.
Harlock ne rendrait jamais ce vaisseau.

— Malgré la disproportion des forces, vous vous êtes interposé courageusement, poursuivit la Présidente. Peu d’officiers de la Flotte s’y seraient risqués.

Il avait transmis une sommation radio à Harlock. « Il est encore temps, reprends la route de Kerbéros-Psi et je dirai que tu t’es écarté de ta trajectoire pour semer d’éventuels ennemis ». Harlock l’avait envoyé paître. « Sais-tu seulement ce qu’ils y font, sur Kerbéros-Psi ? » Non, Warrius ne savait pas. Mais les ordres étaient les ordres, non ?
Il s’était « interposé ». Ce n’était pas difficile de deviner la destination d’Harlock, et Warrius avait réussi à le devancer avec l’Hayabusa. Il avait espéré que sa présence le dissuaderait. « L’Union te rattrapera où que tu ailles, imbécile ! Fais demi-tour ! » Il avait prié de pas devoir faire usage de ses armes.

Harlock n’avait même pas daigné engager le combat. Il avait simplement… foncé sur lui. Et s’était écarté, à moins d’une dizaine de mètres de sa coque. Un avertissement. Limpide. Il manœuvrait bien, ce salopard !

Warrius secoua la tête.

— Je n’ai fait que mon devoir, madame.
— Un patrouilleur contre ce vaisseau ? C’est bien plus que « votre devoir », capitaine.

La Présidente agita les deux plexifeuilles. Elle souriait franchement, à présent.

— … mais si vous voulez que vos efforts soient couronnés de succès, il vous faut de meilleurs arguments… commandant.

Comment ? Perplexe, Zero prit les feuilles. Les lut.
Les relut.
Et les relut encore.

Comment ?

— Félicitations, commandant. De vous à moi, j’estime que c’est amplement mérité !

La première feuille était une promotion. Non pas d’un, comme cela était l’usage, mais de deux échelons de grades. Ce qui faisait de lui, calcula rapidement Zero, le plus jeune officier de la Flotte à ce niveau.

La deuxième feuille était une lettre de commandement.
« EFS Karyu ».
Un croiseur.
Un croiseur de dernière génération.

— Il vous fallait le grade afférent, évidemment, expliquait la Présidente. L’équipage est déjà informé de votre arrivée.

Il bredouilla « merci ». Un croiseur. C’était son objectif, ce qu’il visait lorsqu’il était entré à l’Acastro. Un rêve de fin de carrière. Un rêve qui n’était pas censé arriver si vite.
Merci Harlock ? songea-t-il. Espèce de crétin.

— Quant à votre mission…

La Présidente lui tendit une troisième feuille. La mission était simple.

— Ramenez-moi sa tête, commandant. Je compte sur vous.

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